Le crayon s'est posé sur le papier – doucement –
Le crayon s'est posé sur le papier – doucement – à pas de loup – à tâtons – comme si une peur diffuse pouvait le retenir – et puis une lettre – une autre lettre encore – un mot – un autre mot – une phrase enfin – dans laquelle va s'insinuer quelque chose comme un souvenir – une image venue d'ailleurs – d'un endroit inconnu et multiple – comme ces îles lointaines au coeur de l'océan – ces atolls aux noms enchanteurs où se confondent la terre et la mer – le feu et l'eau – le vent et les vagues – pouvoir de l'écriture où se croisent passé et présent – nuit et jour – l'autre et moi – et l'autre de moi – et toi aussi – mon frère, mon lecteur – mon amie – où folie et raison se mêlent dans un tourbillon incessant – et où le rêve prend forme et réalité en se confondant. Pays de l'écriture envahi par les flots – bercé par la mer – où se côtoient le noir basalte et la blancheur de l'écume pour donner une perle noire aux reflets de nacre. Magie des mots – d'une écriture capable de dire ce qui n'a pas encore été inventé – de donner vie à des mondes encore inconnus – à des amours nouvelles – des rêves inaboutis. Il existe un présent de l'écriture qui permet de réunir ce que la vie et la mort s'obstinent à séparer tout autant que le vent et les tempêtes. A qui sont donc ces mots ? à toi – à moi – à nous – à mes enfants – aux tiens – à tous les hommes, autant à celui qui marche qu'à celui qui écrit – qui rêve – ou qui aime – et de quel outil le poète a-t-il le plus besoin ? son luth ou son crayon – et de qui Laure est-elle la fille ? de Pétrarque ou de sa mère aux bras si tendres – ma feuille rendra-t-elle un jour l'éclat de tes yeux – la chaleur de ton sourire – la musique de tes mots – autant de parfums – de sons enchanteurs – de larmes étincelantes – paysage de Cythère, flots tourbillonnants. Peut-on vivre un amour, si on ne l'a longtemps rêvé ? Je ne serai jamais plus près de toi qu'en t'écrivant, ni plus loin – ces mots qui nous enchaînent pourront-ils jamais nous libérer ? Mots longs, mots courts – mots sus, mots dits – mots en forme de montagnes – de nuages – de galets – tour à tour aimables et rebutants – tristes et joyeux – maudits mots pas encore dits, toujours ressassés, répétés.