Je suis venu vous dire que j'étais bien arrivé –

Je suis venu vous dire que j'étais bien arrivé – malgré ma crevaison, le froid, le vent, la pluie et les frimas. Je suis venu vous voir encore une fois.
Je suis venu vous écouter  – vous entendre – recevoir une part de vous, un morceau de vie – un temps de parole – d'amitié – de partage.
Je suis venu pour que vous m'écoutiez – vous m'entendiez – me receviez.
Autour d'un mot, d'une table – assis ensemble – les mots s'échangent, passent de l'un à l'autre – traversant l'espace qui nous sépare, qui se rejoint, qui s'éclaire. Temps suspendu – temps autre – temps secret – temps des secrets – des mots échangés, des mots inventés – reçus – liquides.
Je dois oublier les mots tus – les mots sans voix – les non dits – ce que chacun n'arrive pas à poser – construire – raconter – ce qui se terre au fond de chacun de nous – ce que l'on voudrait tant pouvoir confier à un autre – lecteur ou écoutant – passant d'un soir, voyageur sans bagage – ami inconnu.
Ceux-là aussi m'appartiennent, m'accompagnent, me hantent comme autant de casseroles accrochées à mes basques. Ils sont comme les tintements silencieux d'une cloche sans voix. Mots d'un soir, d'un jour, d'une vie. A travers eux, c'est bien de sens qu'il s'agit – de sens et de lumière – de sang et de poussière. Ils faut qu'ils adviennent, franchissent la barrière des lèvres et de la plume – s'écrasent sur une feuille silencieuse et froide comme le marbre de la cheminée – à côté de la plaque mortuaire qui contient les noms des miens, de ma famille – de mon origine.
J'aime bien vous retrouver ce soir – même quand vous n'y êtes pas, même si je ne suis pas avec vous. Absence du présent. Présent de l'absence. Quelque part une amie pleure son enfant. Que pourrais-je lui dire de plus que rien. Poids du silence. Poids de l'autre. Poids de l'absence – de ton absence – de la mienne – de celle qui nous recouvre et nous protège du froid – de la vie – du vent – de l'oubli – du vide.
L'absence comme compagne – comme amie – comme espoir.