Je ne vous dirai rien ce soir. Rien de ce qui m'a

Je ne vous dirai rien ce soir. Rien de ce qui m'a accompagné jusqu'à vous. Rien de ce qui ne m'appartient pas. Promiscuité – rencontre – afflux de gens – de messages – de partitions différentes – de rêves perdus – d'amitiés noyées – de regards inconnus.
J'aurais tant aimé que tu sois avec moi – mon inconnue – comme une amie sans voix – un enfant sans nom – un geste ébauché – sourire du soir.
Ainsi soit-il – et alors il pourra advenir – ce grand jour tant espéré – le blanc navire qui fond les flots limoneux vers une destination incertaine, s'est mis en route – déjà il a disparu dans le lointain – aspiré par l'inconnu.
La geste s'accomplit – mystère renouvelé et permanent d'un office divin aux accents angéliques. Plus près de moi – des voix d'enfants comme une cascade qui s'écoule dans un flux ininterrompu. Une grande envie de silence m'envahit doucement – chassant le tumulte de la vie. Je m'avance à tâtons dans le labyrinthe qui me cerne. Perte de sens – obscurité rituelle et glauque d'une pénombre sans fond. Au-delà de l'horizon – plus loin que le vent – moins vite que le temps – ton ombre s'enfuit au détour de la terre.
Il n'est plus temps de pleurer – plus temps d'exister – seulement d'attendre et d'espérer.
Derrière les mots c'est bien de la nuit qu'il s'agit et de son cortège de souvenirs. Je ne suis pas prêt à t'entendre.
A nouveau un son me parvient que personne ne peut saisir.
A nouveau un regard se pose sur le carreau de la fenêtre.
Un oiseau s'échappe – une mouche s'est posée – comme un oiseau de nuit sur le ciel de mes illusions.
J'aurais tant aimé que tu reviennes. Je suis fatigué de traîner ton absence comme un manteau gorgé de pluie. De te prêter ma voix sans réussir à entendre la tienne – de donner sens à l'absurdité d'un vide inconnu rempli de spectre et de limaces.
De quel toit – sur quelle branche vais-je pouvoir me poser ?
C'est drôle de ne pas voir et de tendre la main pour écarter les obstacles lorsque surgit le monde sans vie des obscures entités recouvertes d'un linceul.
Trop tard...

G.D.Friedrich