Quelque chose est arrivé – sans nom – sans

Quelque chose est arrivé – sans nom – sans épaisseur – sans durée. Absence de mots – absence de lieu – comme un fil entre l'est et l'ouest – le vent et l'eau – le ciel et la terre.
Ce qui bouge – ce qui advient lorsqu'on ne l'attend plus.
Nul ne sait ce qui existe entre la vie et la mort, entre la nuit et le jour, entre le mot et la chose. De quel côté est la vérité ? ou ce qui en tient compte ?
Lorsque surgit au milieu de nous la maladie ou la mort – et qu'elle vient nous effleurer de son aile moirée – pour nous rappeler combien est brève la vie – combien est mince notre part d'immortalité – d'immuabilité.
La vie comme un souffle – une brise légère – un clapotis – à la tombée du jour – lorsque glapit le chien – il n'est pas d'autre bruit que celui des mots qui tombent – des mots qui glissent sur une surface lisse – qui roulent comme les galets emportés par le ressac. Petite chanson, murmure sans voix, aube sans lendemain. Jours d'avant. Mot valise où s'empilent mes souvenirs – mes rêves – mes illusions. Eux seuls peuvent donner sens à ce que je n'ai jamais pu dire – ni ressentir – ni atteindre – ni vivre. Sans eux rien n'existe – rien ne peut se dire – rien ne peut arriver. Ils sont le but du pèlerinage et le parcours lui-même.
J'ai longtemps su qu'il suffirait de nommer les choses pour qu'elles n'existent pas – qu'elles n'arrivent pas – alors qu'en fait c'est tout le contraire.
La chair des mots – le mot et la chair. La chaire comme origine et la chair comme matière. La substance du mot – son épaisseur – son goût – sa fluidité. Ce qui coule, ce qui s'écoule – ce qui noie, envahit, submerge – recouvre. De quel sang sagit-il ?
Quelle est cette humeur qui m'envahit ?
Encore une fois, une autre fois – une seule fois...
Pour lire – entendre – écouter et peut-être voir – un mot – un visage – une ombre – un souvenir – un rêve surgi de nulle part – venu de n'importe où – Qui peut le dire ?

Soutine