sensation

Assis dans la vitrine à regarder passer les gens dans la rue.
Encore un – puis un autre – et une autre et encore.
Encore un mot – un autre mot – un autre jour – une autre fois – dans un autre pays – sous un autre ciel – dans un autre monde – un monde où il n'y aurait ni guerre – ni sang – ni larmes – ni mensonges ni injustice. Un monde de paix, d'amour, humain, quoi.
Je me demande toujours quel plaisir on peut retirer de la souffrance d'autrui, quelle part de moi éprouve le besoin insondable de m'en prendre à l'autre. La plupart du temps il ne s'agit pas d'autre chose que de ma peur de mourir. Et c'est vrai que tuer l'autre est aussi le moyen de continuer ma pauvre vie d'immortel.
Je ne sais plus qui a dit que seule l'idée de sa propre mort permettait de vivre – de se sentir vivre – d'exister enfin.
Comme si on ne pouvait entendre les cloches que lorsqu'on les écoute et saisir un objet que si l'on arrive à en faire le tour. Ding dong – tant de choses m'échappent – tant d'êtres me manquent – absence de monde – les passants sont partis – absence au monde – encore un, et puis un autre – à l'écoute les uns des autres.
Tousse – Tarir – Respiration – Aspiration à un autre jour – Une autre réalité. Le monde n'est pas si sombre, ce soir baigné par le soleil couchant. Il suffit de porter sur lui un regard différent – de le voir comme il est et pas comme je l'imagine à travers le regard déformé de mes épouvantes – et de mes terreurs indicibles.
En posant ces mots, je n'arrive pas à en saisir le poids. Comme si quelque part un oiseau inconnu m'échappait dans un froissement d'ailes.
Quelqu'un est encore passé – un autre – un nouvel autre – Je le vois – il ne me voit pas – Qui existe ? Qui est là ? Qui n'est pas là ? De qui suis-je le passant ? Passant d'un soir, d'une vie – Passager d'un étrange voyage vers nulle part.
"Voyageur sans retour" –  Vers où me conduisent mes pas ? Devant – Derrière ? Marche sans fin vers l'inconnu  – un autre inatteignable à l'image d'un souvenir oublié – d'une photo jaunie, effacée par le temps où seule reste une ombre grisonnante  – trace d'une autre vie –
Les mots glissent entre mes doigts comme des gouttes d'eau.
Je ne peux ni les retenir – ni les saisir – ni m'en habiller.
Ils me laissent sans voix, assis au bord du chemin sans qu'aucun passant ne s'arrête. Le monde est à l'image de la solitude : on n'est jamais aussi seul qu'au milieu d'une foule alors que paraît-il au milieu d'un désert... mais je ne me souviens pas de cette sensation.
Un autre passant – encore un autre – Mais où court-il donc ?
Tout s'écoule dans le ruisseau – jusqu'à la mer.
Au fait, savez-vous que ma mère est morte – un soir d'hiver – Il neigeait – Il faisait nuit et je l'avais abandonnée à sa destinée – parce que je ne pouvais plus rien faire pour elle – ni pour moi – ni pour ce nouveau passant – le dernier de ce soir – celui qui m'accompagne partout où je vais – partout où je ne vais pas.
Encore un pas, un autre avant – en direction de – pour ne pas...