J'ai peur de mourir – comme tout le monde.C'est
J'ai peur de mourir – comme tout le monde.
C'est pourtant moi qui ai failli écraser quelqu'un en arrivant. La mort est une compagne de tous les instants – chaque jour elle nous prend par la main – se rappelle à chacun de nous par un mot – un regard – une absence.
Quelqu'un me regarde – me regarde vivre – écrire en ce moment même – comme si les mots pouvaient venir à mon secours – me protéger – me défendre – me prolonger.
Je vis tant que je peux encore parler – m'adresser à cet autre qui regarde par-dessus mon épaule. Mais que lui dirais-je de plus – de moins – qu'il ne sait déjà – au sujet de cette vie, en partage, en commun, ensemble.
Mourir de vivre. Ce regard échangé – croisé – entendu. Je me montre vivant – et je regarde les autres se mouvoir avec aisance – avec harmonie. Un éclat dans le regard. Un sourire. J'ai tant envie de le découvrir à nouveau – de saisir cette lumière qui se reflète dans tes yeux.
Existe-t-il quelque part un être sans regard – sans yeux – sans lumière – sans désir, non plus ?
D'aucuns le prétendent – et j'ai cru rencontrer une femme sans regard – mais c'était parce que je ne pouvais l'atteindre – le rencontrer – le voir.
Il y a tant de choses que je n'ai pas vues – que je ne verrai jamais – avant de disparaître, de m'éteindre.
Pour autant, n'existent-elles pas ?
J'ai toujours peur de mourir – surtout quand je n'écris pas – ou que je n'écris plus – comme si les mots me permettaient de te voir – de saisir ton regard – de sentir battre le coeur de mon amie.
L'écriture comme souffle – comme respiration – comme sentiment – lorsqu'elle se confond avec ce dont elle parle – lorsqu'elle se confond avec la main de l'écrivant – avec son regard.
Une espèce de porte ouverte sur le monde. Un moyen de voir à travers le voile qui couvre ton visage. Un cri d'espoir – l'expression d'un rêve de liberté pour les uns, d'éternité pour les autres.
"Et le verbe s'est fait chair" – en-deça des mots, au-delà des voiles – révélant à chacun la nudité éclatante de l'être incarné – ma propre et misérable nudité – ma piteuse et vieille existence. Ainsi je pourrai continuer à imaginer que derrière ce masque offert se cache la plus belle et la plus vénéneuse des créatures, celle qui hante mes rêves depuis si longtemps – celle qui me force à écrire –
et m'empêche peut-être de mourir – la femme mêre de l'origine – au sexe ouvert et au regard voilé.
Il s'est voilé le visage, celui à qui Dieu s'est adressé, car il n'aurait pu survivre devant un tel éclat – une si grande lumière – celle qui se cache et est cachée dans le regard de l'Autre. Comme si ce dévoilement ne pouvait se réaliser que dans la mort.